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Ils existent je les ai rencontré(e)s
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19 septembre 2017

La Chouette

 

 

Bourré, mais vraiment bourré, le Gros jo quand il est sorti en pleine nuit exaspéré par le hululement de la chouette. Cela faisait quelques semaines qu'elle lui trouait le cul, ben elle allait voir cette salope.

Il habitait dans le village de son enfance, pas loin du Puy, il travaillait à la scierie, débitait du tronc la journée, éclusait dès la fin du labeur, la sciure ça sèche.
Il était sec Gros Jo, en semaine, en vacances, en week-end. Toujours sec. Il devait beaucoup humidifier pour pallier à ce souci.

Tellement sec que trois ans après le mariage et seulement un an après l'achat de la maison, Gisèle s'était tirée. Il ne la tirait que bourré, l'engueulait bourré, lui parlait bourré. Le tout sans relâche.

Ils étaient pourtant heureux au début. Il avait trouvé du travail à la scierie, elle travaillait pour la maison de retraite, assurée d'avoir un CDI, des vieux dans le coin il y en avait autant que les feuilles sur un arbre. La source n'était pas prête de se tarir.

Au village, beaucoup étaient partis, ils travaillaient en ville. Restaient les casaniers ou les pas futés, les vieux, enfin les pas trop vieux.

Gisèle et Gros Jo, c'étaient des amoureux du coin, des pas futés aussi, mais bon y'a pas de lien.
Ils avaient acheté la maison, le maire avait réussi à trouver des subventions, un entrepreneur pas trop cher. Il était fier de son «hameau» le maire.

Un peu toc, un peu coin de banlieue perdu dans la campagne, mais bon des habitants du village avaient acheté, d'autres étaient venus du Puy.
Du coup, Gros Jo ré-entendait des rires d'enfants dans la cour de l'école. Les vieux aux fenêtres de l'asile, pardon, de la résidence pour le troisième âge, pouvaient les voir, rêver à leur enfance, nostalgie pas chère avant l'oubli de l'Alzheimer, avant celui du cimetière, celui des enfants qui ne venaient jamais.

Les enfants savaient que l'héritage ne valait rien, une vieille ferme, des terres devenues friches. Pas de vraies raisons de venir. L'amour filial c'est en sous qu'il se compte.

Il y avait eu une fête avec les autorités pour inaugurer le hameau. On avait gardé les vieux derrière les fenêtres, fallait pas salir.

Tout allait bien. Puis plus fort que l'amour de Gisèle, Gros Jo avait rencontré l'amour de sa vie, la bouteille. Lui le casanier se payait des voyages au bout du pays des rêves.
Nymphes, Naïades, des fées venaient glisser une mèche au bord de son oeil.

Quand il voyait la tronche de ses contemporains il virait ivre de colère de déception et retournait tester les bouteilles à mirages, en tastant leur contenu.
Dieu, il en contenait du contenu le Gros Jo.

Un jour Gisèle lui fit un effet identique que la tête des autres. Alors il but plus encore, en deuil Gros Jo, en deuil de sa Gisèle qu'il trouvait pas moche, non, banale ordinaire. Bourré il savait reconnaître les fées.
C'est tout juste s'il se rendit compte qu'elle était partie, Gisèle.

Quand le frigo et le congélateur furent vides il se souvint de son départ.
Il pleura pour de bon de vraies larmes de tristesse, des larmes de vin un peu.

La villa commençait à ressembler à ces vieilles fermes comme il en existait une par village avant, quand la vie était là, une de ces fermes poussées au bout d'un chemin loin de tout, où des familles habitaient dans la fumée.

Des murs noirs salis de trois générations de suie, où sur la table il reste une place pour les assiettes au milieu des outils des clous.
Des assiettes qui servent et resservent encore sans jamais voir la pierre d'évier, pleine elle, de gamelles sans âge mais pas sans croûtes.

Des familles hors du temps, qui se salissaient s'empêtraient dans les rancoeurs, les haines les détestations des autres et d'elles mêmes.

Dehors devant la villa, les bordures de soucis disparaissaient sous les rouilles déposées par l'autre passion de Gros Jo, les motos. Une vieille passion dont on ne voit que les épaves, dans un jardin devenu dépôt de

ferraille.
La maison occupait l'angle le plus éloigné de la route, le fond du hameau. Les résidents ne le connaissaient pour ainsi dire pas, il traçait son chemin par l'arrière du lotissement pour les éviter autant que pour gagner du temps.
Ses fenêtres donnaient sur le bois, les autres propriétaires se foutaient encore plus de lui que lui d'eux.
D'un coté l'indifférence banlieusarde qui gagne les coins les plus reculés faisant disparaître les solidarités villageoises et de l'autre les haines campagnardes avec la sûreté d'une pelleteuse.

Les soirs de mauvaise humeur, Gros Jo s'en prenait juste, par des grognements, à la chouette sa voisine. Les soirs de mauvais vin ou de hargne ou encore tout et son reste.
Sa voisine, une effraie qui se perchait en face, assez haut dans les arbres proches, il l'entrevoyait à peine, hululait pendant que lui buvait. Elle devenait la cible de ses grognements, de ses colères. Les godasses volaient la chouette hululait.

Une nuit, il devait être d'humeur pire que d'autres nuits, un jour de vinaigre, ou et c'est plus sûr un jour sans Ondine - parfois elles résistaient à toutes les infusions vinicoles, les salopes - Un soir il entra dans une colère démesurée, il se mit a tempêter contre la bestiole, il hurlait ses jurons comme des vomissements.

Du fond de sa mémoire une lumière mal éteinte se remit à briller.
Il arrêta de crier, il se fit silencieux pour ne pas dire discret furtif. Délicatement, si ce mot a un sens pour Gros Jo, il éteignit les ampoules, et entrouvrit la fenêtre.
Dans le noir il se mit a fouiller les placards jusqu'à trouver un fusil, héritage du père.
Pendant ce temps la chouette continuait le concert, paisible. Le lourdaud ne la dérangeait pas, elle ne le craignait point.

Fusil en main, il prit les dernières cartouches, arrivant à penser dans les brumes que cela pouvait être dangereux toutes ces années d'attente, pas bon pour les cartouches voire pour sa binette, mais la raison a rarement raison face au vin.

Il se posta à l'angle de la croisée lumière éteinte et au premier cri de l'effraie il tira.

Dans ses grommellements de bête ivre, une oreille fine aurait pu distinguer des mots mâchés menu, détruits.
« La mort, la porte malheur, la clouer »
Après le coup un silence, puis un bruit mat sur le reste de pelouse.

La fureur le reprit il sortit de son antre comme un dingue silencieux, courut derrière la maison à la vitesse que l'ivresse permettait, vaguement il distingua une forme au pied de l'arbre, l'animal bougeait encore.
Bourré mais véloce le zèbre, de fondre sur l'emmerdeuse, l'empêcheuse de boire en paix, la dévoreuse d'Ondines la bouffeuse de rêves la tueuse d'ivresse.

Il gardait des années de collège de très vagues souvenirs du rugby, appris pendant les cours de gym, il s'est jeté sur le volatile comme dans une mêlée.
Le bougre ne s'attendait pas à autant de résistance de la part d'une vollaille, blessée de plus, ivre peut être mais pas con, pas croire.

Il savait qu'il l'avait touchée. Au fond de lui la part à jeun savait que quelque chose clochait, ça baragouinait au fond dans un coin à peine accessible « Tu as un souci Gros Jo un souci, une chouette c'est plus petit, ça ne tire pas de direct au foie. »

L'entendait rien l'immense, dans sa houle de vin, ne voyait plus qu'un truc à faire, la clouer sur la porte de la grange la greluche.

Bataille rangée d'un dérangé avec une chouette. La lutte ultime, culture contre nature, l'aviné contre la nuiteuse.

Le vin donne de beaux rêves, donne de belles rages et des forces endiablées, il finit par avoir raison de l'animal. L'artiste pendant que la bête attendait sonnée partit à la recherche des clous et du marteau.
Lucide pépère il ne mit pas longtemps dans la panique de son atelier pour trouver les outils de la crucifixion (crucifiction !)

Je dois vous dire un fait étrange, peu sont au fait de cet événement assez rare.
Parfois, une fois par siècle, moins, des individus arrivent à toucher les limbes sans le savoir, quelques rares méditant, d'autres par la prière, d'autres encore par l'alccol, ou les drogues.

Gros Jo faisait partie de ceux là, il avait réveillé le domaine des ombres et le jour de sa grosse colère la porte était grande ouverte. Un poil de lucidité ou au contraire un verre de plus il aurait vu ses chères Naïades et Ondine.

Au matin, à la porte de la grange, celle qui se trouve au carrefour entre le chemin du lotissement et la départementale, cloué à la grange, tout le monde pouvait voir un ange épinglé, l'habit défait les ailes froissées, cassées.

Un attroupement s'est vite formé devant la grange.
Au sortir de son ivresse partant pour le boulot, Gros Jo vit sa chouette, le choc fut tel qu'un arrêt cardiaque le déménagea illico pour l'hôpital rural où il reste comateux depuis de nombreux mois répétant à l'envie : « La chouette, la chouette. » 

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