Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Ils existent je les ai rencontré(e)s
Ils existent je les ai rencontré(e)s
Publicité
Archives
12 septembre 2016

SAmedi cravate

 



Il vit seul, son épouse regrettée décédée, il demeure entre cimetière et photos encadrées.
Il la visite à pas tranquilles. Disparition acceptée, la vie passe.
Heureux du mariage du fils, maintenant à l'autre bout du monde, l'Australie.

Ce fils se manifeste peu, le père ne lui en veut pas. Il sait que lui même offre peu, comprend le départ du fils, admet.

Il prend soin de son allure, ancien courtier en assurances. Vêtu correctement, soigneux de lui, de ses vêtements.

Il passe une retraite paisible, solitaire. Vit de la manière dont il mourra, à petit feu. Tranquille.
Des questions l'assaillent, les réponses ne naissent pas. Occupé, occupé par le pli des pantalons, la fraîcheur de la chemise, le craquant de la baguette.
Tout est mesuré chez Georges, les gestes, les mimiques, le choix des vêtements. Une vie bien réglée. Tout à la dosette : le café, les émois, les vacances.
Cela ne fait pas une vie triste, juste une vie sans surprise.
Un homme posé, mu par une componction désuète, une dignité figée, respectueux de toutes, de tous. Il n'a jamais fait de mal à quiconque.

Veuf, la vie continue de la même manière.
Il s'offre un samedi par mois un déjeuner au restaurant. Je le croise dans ce petit établissement iranien.
La cuisine est agréable, le patron accueillant, il vous traite en ami.
Georges vient chercher un peu d'amitié, un repas comme un rite.

Il pense chaque geste, attentif à le bien faire, le bien dessiner. Déplier sa serviette débute le rituel. Il aime peu les surprises et a choisi une fois pour toutes le menu, ne changeant qu'un plat tous les deux ou trois mois, certain de le retrouver plus tard. Il ménage son plaisir sans crainte de mauvaise surprise, sans crainte  de surprise.
Je l'imagine se préparant le samedi matin, sortant son complet de la penderie où il reposait depuis le mois précédent.
Parfois doit-il le sortir pour d’autres démarches ? Je sens chez lui la politesse des humbles, des oubliés se vêtant pour aller à la banque ou chez le médecin.
Chemise blanche dont il doit vérifier le repassage, cravate. L'homme en est fier, il la lisse du plat de la main.

Les quelques mots échangés avec le personnel l'emplissent de bien-être, il montre beaucoup de gratitude. Il existe, devient important, reconnu, apprécié.
Sa  gravité  adoucit chaque geste, le rend beau.
Concentré sur chaque bouchée, veillant à ne pas se faire remarquer, à faire du mieux.

Goûter chaque bouchée, chaque seconde, se réjouir discrètement.
Je perçois le désir d'aller lentement, de ne rien perdre, savourer la nourriture, l'accueil, le temps.

Il montre la vie sous un jour étrange, dérisoire, mesquin. Il pourrait servir de modèle à un romancier croquant des fonctionnaires.
Pourtant, ses petits plaisirs et ses petites joies sont vécus si fortement que tout devient intense, la ride au coin de yeux, le geste pour tirer le poignet de la chemise blanche.

Il offre au regard un mélange surprenant d'extrême humilité presque écœurante et d'orgueil agaçant, mais une trace de sourire intérieur efface ces impressions désagréables.
Il devient grand tant ses gestes et sa concentration paraissent naturels, tant une danse minimaliste -celle de la joie de vivre- affleure dans ses mouvements, aux bords des doigts, au bout de l’œil.
Il se délecte, accompagné par le patron qui lui montre une attention et un respect particulier.
Dessert et café, prendre le temps.

Ne pas rentrer trop vite, casser la routine, alléger le difficile retour vers les jours qui passent, retrouver la force de se contenter de ce qui fait sa vie.

Publicité
Publicité
Commentaires
R
Joli texte. Il existe effectivement des gens comme votre assureur. Je me gardderais bien de juger de leur manière de vivre. C'est la leur, moi j'ai la mienne et il importe peu de savoir qui a raison.<br /> <br /> Le vieux bougon
Répondre
Publicité