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Ils existent je les ai rencontré(e)s
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3 août 2016

Enterrement

 

 

  

Le grand-père est mort. La famille se réunit. Il y a ceux de Lyon et ceux du Midi.

Ce ne sont plus les enterrements d'avant. L’un des derniers dont il se souvient gardait encore son déroulement pesant, porteur de douleurs. Un de ces enterrements où tous, malgré les désaccords, se soutenaient le temps d'un cortège.

Il avait vu le vrai sens, le vrai enterrement, au bistrot, lorsque naissaient les nouveaux rires, se tissaient les nouveaux liens. Ces funérailles-là, les premières d'une longue liste (vers le milieu de chaque vie les morts se font plus nombreux, ils se passent le mot le relais) ces funérailles prédisaient une suite de défilés mortuaires.

Cette fois l'ensemble est assez désordre. Chacun ayant sa boîte à roues, le cercueil et son locataire font le voyage sans compagnon, sans compagne. Hormis l'employé des pompes funèbres, un inconnu payé pour être là : Va causer, toi, va pleurer !

Avec les boîtes à roues, tu ne peux pas voir les menteurs les tricheurs les sincères. La veuve, absente. Fatiguée, indifférente ou profondément en deuil, personne ne le saura jamais tant elle cache la moindre émotion depuis si longtemps.

A la porte du cimetière un semblant de cortège se constitue, assez peu digne dans l'ensemble. Les cousins du Nord, du Sud se retrouvent et les retrouvailles l'emportent sur les funérailles. Enterré deux fois le grand- père, dans la terre et dans l'indifférence.

Rien à reprocher aux vivants, ils vivent, ils sentent l'arrivée de la vieillesse, en rang derrière l'ancêtre. Un défilé brouillon dans le froid. Banalité, il fait froid dans les cimetières, une évidence, une définition.

Les petits-enfants ont grandi, ils sont adultes, plus émus que leurs parents.

Ils revivent le visage du grand-père, leur temps d'enfance. Les parents, eux, ont suivi la maladie la fin. Après la crise cardiaque, le grand-père n'avait existé qu'à moitié. Il menait sous le regard protecteur de son épouse une vie ralentie.

L'enterrement réveille des souvenirs. Paradoxe, quand une mémoire s'éteint, d'autres s'éveillent. Elles permettent aux morts de finir d'exister. Aux vivants de mesurer leur fragilité, ce qu'il reste, ce qu'il leur reste.

Je n'écris pas ces quelques lignes pour philosopher sur la rapidité de notre passage sur la boule bleue, d'autres le font mieux que moi. Non, j'aime le bouleversement des vies dans les moments banals, graves, importants.

L'observateur laisse croire qu'il est mauvais coucheur, peu aimable, variation ours. L'épouse du grand-père également, elle se cache dans ses silences, dans les émotions tues, derrière des volets de fer. Les enfants se sont tous laissés prendre à cette attitude. Ils voient en leur mère une femme acariâtre, lunatique.

Il aime regarder ceux qui l'entourent, elle aussi, c’est naturel chez eux. Ce recul permet de voir de lire ce qui se passe, les évènements, les troubles intérieurs, les émois.

Voir. Parmi les pèlerins de corbillard, un homme et une femme se cherchent du regard. A gauche ou bien à droite, un buste dépasse de la file, le temps d'un coup d’œil. A-t-elle bien vu ? A-t-il rêvé ? L'un l'autre se courent après.

Doivent bien compter dans les cent ans à eux deux. Notre observateur se cache à l'arrière du cortège : Mater les iconoclastes en douce, sans se faire pincer, un enterrement où le scénario est bousculé, il ne sera pas venu pour rien.

Halte ! Gamin, pas de blasphème, tu l'aimais bien, le grand-père ! Tu es venu pour lui, si en plus il y a théâtre c'est bonus, mais reste calme.

Il y a théâtre. Chez elle, en lui, une légèreté de la démarche rappelle des vacances lointaines. Cette légèreté perce sa mémoire, l'ouvre : Un coin de campagne où chante une rivière... Reste sobre, ne te prends pas pour un autre, surtout celui-là.

Note, la note littéraire dans le texte, c'est plutôt pas mal, tu fais homme qui a des lettres, à bon compte. Ca ne mange pas de pain.





Retour à nos apôtres. Gamin la rivière le bruit de l'eau du vent. Le monde impressionnant autour, jamais vu ce monde, des lieux étrangers, ils appellent cela des vacances. On part en vacances. Il doit avoir cinq ou six ans. Heureusement les parents les grands sont là, ils paraissent savoir ce qu'il faut faire. Il les suit docile, pas envie de se perdre, de les perdre. Cette certitude apparaît avec les souvenirs : Finalement, les mômes, ils n'ont pas tellement peur de perdre les parents, ils craignent vraiment l'inconnu, égarés dans un autre monde, et comme ils n'ont pas le choix, ils pleurent les parents.

Il les suit docile, un petit troupeau de citadins à la campagne, des oncles des tantes, des copains des cousins. Ceux qu'il connaît et d'autres, qui semblent importants pour les parents. Ils sont d'ici, ils arrivent le matin, partent le soir, pas tous les jours mais parfois.

Un jour, l'un d'eux les a baladés en voiture, une première pour ses frères et lui. Le souvenir refleurit, dans la voiture les gamins à l'arrière, devant, la tante la plus jeune et un cousin de la campagne, le gamin sent entre les deux une connivence, un lien. Des gouttelettes d'un brouillard doux et tiède les enveloppent.

Retour enterrement du grand-père. Des années plus tard dans le cortège, ce sont bien eux qui se cherchent du regard se sourient s'évitent, enfin le binz des amoureux. Ils ont pris du poil blanc, de la ride, l'amour est passé au travers. Autour personne pour voir, juste le petit-neveu.

Il a mis l’œil où il ne faut pas, son cœur se marre. Le gamin l'adulte tous deux à la joie des amours, des amours défendues puisque l'épouse et le mari sont dans le convoi, malheureusement pas dans la voiture de tête.

Il passe la journée à les pister, du cimetière à la réunion de famille chez l'un des lyonnais. Ils se cherchent se trouvent se parlent, s'éloignent au moindre soupçon. Peur d’être devinés, surpris. Il assiste à un ballet. Ils vivent, bougent au rythme de cet amour retrouvé.

Les mains, les pieds, les yeux, le visage, une souplesse les enlace les brode d'élans, de vertiges qu'ils doivent contrôler en permanence. Ivresse maintenue, il faut du courage pour ne pas s'enfermer dans une chambre, s'aimer.

Oui, bonnes gens, eux, c'est sagesse, bonne tenue. Trente ans qu'ils ne se sont vus, pris dans le choc de ces sentiments endormis, ils gardent la main, se brident se limitent, ils se «tiennent». Se tenir, voilà un verbe qui parle à ses oreilles, combien de fois entendu ? Combien de fois l'envie de le vomir ? Il revoit les émois dans la voiture, dans la clairière, les effleurements, il sait l’enfouissement des sentiments par les bonnes manières. Ils viennent de comprendre qu'ils s'aiment, s'attendent depuis trente ans. Il regarde en quelques heures la reddition prendre la place de l'amour ainsi qu'hier. Ils se rendent, pas à l'amour mais au regard des autres, aux codes. Ils tuent l'amour sous ses yeux.

Sans le montrer, il pleure pour eux, l'enterrement le vrai le pire le plus triste, il le vit avec eux. Envie de les secouer, de les traiter de chiffes, de mollasses, de hurler crier. Il se tait, leur douleur est grande, ne pas rajouter une morale en place de la leur.

Il ne comprend pas leur choix, mais par respect pour les familles, il fait pareil, il se tait.

En visite chez la tante, en douce de ceux qui les entourent, il fait un clin d’œil, lui parle de R. Elle sourit, son oeil s'éclaire, brille dans les rides, elle pose sa main sur son bras, le serre à peine.

Il se hait quand il tait les colères les amertumes, les élans les joies pour ne pas faire de pli dans les draps. Pour ne pas déranger, pour ne pas blesser, parce que cela ne se fait pas. Il se hait, se sent petit, quand il remballe les soupirs ou les larmes. Il se hait.

Portent-ils aussi cette haine d'eux de ne pas avoir su s'aimer ?





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