Le glacier

Il avance du pas d'un homme sûr. Equipé de crampons. Sa marche est facile sur le glacier. Derrière lui, deux enfants peinent, ils peinent à marcher sur la glace, ils peinent à le suivre. De temps à autre, il se retourne, les encourage méchamment de la voix. «Avancez, je n'ai pas que ça à faire ! » Accompagnant ses mots de poings brandis, de pic menaçant.

Le frère et la sœur baissent la tête, s'acharnent à suivre. Ils ont dix ans. La journée est belle. Les enfants courent presque, ils ont froid, ils ont chaud, ils ont peur de le perdre de vue. Ils ont peur de leur père.

L'homme ralentit, s'accorde une pause, les enfants le rattrapent devant la crevasse. Pour le père une enjambée. Aux enfants, elle paraît large trop large. Le père saute, hèle les enfants, toujours menaçant.

Fatigue, peur, ils ne peuvent traverser. Un hurlement: « Attendez ici. »

Au bout de quelques minutes, ils claquent des dents. Trop petits pour rentrer seuls, trop petits pour oser sauter et rejoindre leur père loin d'eux maintenant.

L'homme revient deux heures plus tard un peu inquiet. Les enfants l'attendent, agitent les bras, sourient. Il est soulagé, ils l'ont attendu. Sûr de lui, il saute.

Les pieds retombent juste à l'endroit où pendant deux heures les enfants ont gratté sous la glace, ne laissant que l'apparence de l'épaisseur.

Il chute. Les enfants se penchent, regardent leur père blessé qui appelle au fond du trou. « On n’a pas que ça à faire ! »

Ils se serrent l'un contre l'autre pour résister au froid, chantent «tombe la neige».

Les secours sont arrivés au bord de la nuit. L'hélico a récupéré les enfants frigorifiés, le père mort. Les sauveteurs entourent les gamins en larmes.

« Papa est tombé, on n’a rien pu faire.»